JERIHNA: JERome's Interpretations of Hebrew NAmes
Jerihna est un projet financé par l'Agence Nationale de la Recherche (ANR) (ANR-22-CE54-0003, 2023-2028), l'Université Jean Monnet (Saint-Étienne) et le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS). Il est dirigé par Aline Canellis et Laurence Mellerin.
Les principaux autres contributeurs sont : Elysabeth Hue-Gay, Alice Leflaëc, Jules Nuguet et Léa Zéringer.
D'autres collaborateurs participent au séminaire de recherche : Élise Albanese, Jean-Marie Auwers, Carole Bouchara, Frédéric Chapot, Régis Courtray, Gina Derhard, Marie Frey Rébeillé-Borgella, Dominique Gonnet, Smaranda Marculescu, Isabella Maurizio, David Pastel, Jean Reynard, Laurence Vianès, Delphine Viellard.
Le projet s'est doté d'un Conseil scientifique, qui se réunit une fois par an et est composé des membres suivants : Jean-Marie Auwers, Antonio Cacciari, Gilbert Dahan (président), Martine Dulaey, Maria Gorea, Marlene Kanaan, Matthew Kraus, Emmanuelle Morlock, Thomas O'Loughlin, Emanuela Prinzivalli, Ingo Schaaf, Daniel Stoekl Ben Ezra, Olivier Szerwiniack.
Objectifs et hypothèses de recherche
Dédié à Lupulus et Valerianus, probablement des moines de Bethléem, le Liber interpretationis nominum Hebraicorum (Livre sur l’interprétation des Noms Hébreux) a été rédigé par Jérôme vers 389, à coup sûr avant 392 et après son Commentaire sur l’Ecclésiaste. Cet ouvrage, qui appartient au genre des onomastica sacra, est une sorte de glossaire systématique, classé par ordre alphabétique, qui présente le sens et l’étymologie des noms hébreux pour presque chaque livre biblique de l’Ancien et du Nouveau Testament ; il s’inspire notamment, de l’aveu même de Jérôme, de prédécesseurs grecs illustres tels le juif Philon d’Alexandrie, Origène ou encore Eusèbe de Césarée.
Ce livre, compte tenu de l’intérêt immense des Anciens pour l’étymologie, a eu une importance particulière, non seulement dans l’Antiquité, puisqu’il marque un véritable progrès dans les études hébraïques de l’époque, mais surtout dans sa réception au Moyen Âge, car il a influencé toute l’exégèse postérieure à Jérôme. Les interprétations permettent en effet, dans la tradition de l’exégèse notamment alexandrine, de passer aisément du sens littéral aux sens spirituels. Son succès ne se démentira pas jusqu’à la Renaissance : on en trouve d’importantes traces dans de nombreux manuscrits bibliques (manuscrits irlandais des évangiles, Bibles de Théodulf…) ou dans des glossaires (par ex. le Liber glossarum), mais aussi dans toute la littérature patristique latine, qu’il s’agisse d’utilisations ponctuelles – notamment chez Augustin, Cassiodore, Grégoire le Grand, Bernard de Clairvaux –, de reprises ou de continuations – comme chez Eucher de Lyon1, Bède, Alcuin, Isidore de Séville2, Raban Maur3. Plus tardivement, l’œuvre de Jérôme est de celles qui, à la fin du Moyen Âge, servent à enseigner l’hébreu dans les écoles monastiques, les cathédrales, les universités, les studia.
Une nouvelle édition critique, nativement numérique et une traduction française
Cependant l’édition de référence actuelle, Lagarde 1870, est aujourd’hui jugée notoirement insuffisante par de nombreux chercheurs. En effet, elle n’utilise que 5 manuscrits, et n’en mentionne que 11 de plus dans son introduction, alors qu’on en connaît aujourd’hui plus de 200 (Lambert 1969 ; bases de données manuscrites en ligne4), dont certains très anciens : trois pré-carolingiens, et une douzaine de carolingiens, principalement du ixe s. De plus, elle contient de multiples erreurs : certaines s’expliquent par le glissement d’un nom à l’autre, liés, comme on peut le voir dans l’apparat critique, à des agencements en colonnes parallèles dans les manuscrits, et ont eu des conséquences notables sur la réception de l’œuvre. Une attention particulière à la mise en page des anciens exemplaires est donc indispensable. À cela s’ajoutent des problèmes pratiques : l’utilisation de l’édition telle qu’elle est reprise dans le Corpus Christianorum Series Latina est très malcommode : typographie et présentation monolithique inadaptées, double système de références et de pagination. L’index de l’édition de Lagarde est incomplet et uniquement fait sur le latin. Ajoutons que les références bibliques de l’apparat scripturaire, brutes, parfois erronées, n’aident pas toujours à retrouver le nom hébreu. Une édition à nouveaux frais s’impose donc.
Par ailleurs, en lui-même, le texte de Jérôme n’est pas d’une utilisation facile :
Compte tenu de ces difficultés, et de la forme même de l’œuvre qui s’apparente à un manuel ou à un dictionnaire, il paraît très souhaitable de concevoir une édition nativement numérique sur la base de fichiers XML-TEI, permettant des entrées multiples (nom hébreu et ses traductions, verset biblique, manuscrit…) dans le corpus, et des ajustements rapides au fil de l’eau. Sans prendre en compte l’intégralité des manuscrits, elle reposera toutefois sur un usage scientifiquement raisonné du matériau disponible, à savoir l’intégralité de la quinzaine de manuscrits les plus anciens (viiie-xe s.) et des sondages organisés dans les autres. Elle donnera aussi lieu à une version imprimée dans la collection des Sources Chrétiennes, dotée d’un index trilingue. Elle devra être accompagnée d’une traduction, car, en français, on ne dispose aujourd’hui que de celle faite au xixe siècle par J. Bareille5. Dans les autres langues modernes, il n’existe qu’une traduction espagnole6 et une traduction italienne dépourvue de toute annotation7.
Une base de données des noms hébreux, adossée à BiblIndex
Toutefois le projet Jerihna ne se limite pas à une édition critique numérique et une traduction. Son ambition est aussi de proposer une vaste base de données resituant le traité des Noms Hébreux dans une histoire : celle de ses sources et de ses étymologies ; de ses échos et compléments hiéronymiens ; de sa réception. Pour ce faire, le projet s’adosse aux référentiels bibliques et patristiques déjà constitués de BiblIndex.
a) les sources et les étymologies
Nous rechercherons systématiquement les sources de Jérôme aussi bien dans les targums que chez ses prédécesseurs grecs, et nous relierons ces textes aux versets bibliques qui leur correspondent dans BiblIndex. Pour chaque mot, une (tentative d’)explication des étymologies données par Jérôme sera proposée. Cette approche éclairera en profondeur la connaissance de l’hébreu de Jérôme et ses relations avec le judaïsme. En étudiant, en amont de l’œuvre hiéronymienne, toutes les occurrences des versets bibliques liés aux étymologies dans le corpus de BiblIndex, nous aurons une idée beaucoup plus précise de l’originalité du travail de Jérôme par rapport à ses sources, et une connaissance affinée de celles qu’il n’aurait pas connues ou utilisées.
b) les recherches hiéronymiennes
Nous rechercherons systématiquement les occurrences d’interprétations de noms hébreux dans l’œuvre de Jérôme pour en proposer à la fois un recensement exhaustif et une étude synthétique. En effet, pour appréhender les méthodes de travail du Stridonien dans ses traductions et commentaires bibliques, le traité sur les Noms Hébreux est de la plus grande importance. Nombre de ses interpretationes trouvent des échos dans ces derniers, et ses autres œuvres, commentaires exégétiques ou même lettres, donnent également des interpretationes, à mettre en parallèle ou à comparer à celles données par son traité. Nous nous focaliserons sur les points suivants : comment Jérôme prend-il en compte pour ses étymologies non seulement le texte hébreu, mais aussi des versions grecques, parfois indispensables pour comprendre les lemmes ? Pourquoi n’a-t-il pas traité tous les livres bibliques, ni listé tous les noms qui figurent dans les lemmes bibliques de ses commentaires ? Pourquoi ne donne-t-il pas toujours les mêmes étymologies dans son traité et dans ses autres œuvres, et comment s’articulent-elles ? De quelles sources proviennent-elles ?
c) la réception des Noms Hébreux
Enfin, nous effectuerons ce même type de recherche dans la littérature patristique postérieure à Jérôme ; mais, compte tenu du temps imparti au projet, uniquement à partir des occurrences patristiques déjà repérées dans BiblIndex dans les œuvres des ve-viiie siècles, et au fur et à mesure que ces dernières seront enrichies pendant la durée du projet. Il s’agira, sans prétendre à une exhaustivité impossible à atteindre, de mieux documenter les usages ponctuels des noms hébreux, les reprises massives ayant déjà fait l’objet d’études nombreuses. En envisageant ces occurrences dans une perspective diachronique et traversant les aires culturelles, y compris dans le corpus oriental (à partir des références bibliques associées), nous pourrons faire le départ, en aval cette fois, entre les étymologies d’origine hiéronymienne et celles issues d’autres sources, et ainsi bien mieux mesurer l’impact du travail de Jérôme. En particulier, la question de la circulation des œuvres de Jérôme en Orient, où il a résidé, de leur lecture éventuelle par les grands auteurs, par exemple Cyrille d’Alexandrie, reste un champ largement à explorer.
Après Jerihna, chaque nouvelle œuvre intégrée dans BiblIndex fera l’objet d’une analyse spécifique pour valider la présence ou non en son sein d’interprétations de noms hébreux, prolongeant ainsi le projet.
Outre la production d’une base de données, ces recherches donneront lieu à des approches plus synthétiques, qui se traduiront par l’introduction et les notes du volume de la collection Sources Chrétiennes où figureront l’édition critique et la traduction, ainsi que par des publications complémentaires.
Une méthodologie innovante pour indexer et visualiser les phénomènes d’intertextualité
Ajoutons enfin que les Noms Hébreux de Jérôme, indépendamment de leur intérêt intrinsèque, serviront aussi de corpus test pour la mise en place d’une chaîne de traitement généralisable à de nombreux autres corpus : la liaison entre les fichiers XML TEI et les métadonnées de BiblIndex, une fois mise en place pour les Noms Hébreux, servira à tous les autres textes patristiques de la base. Il en sera de même pour les visualisations innovantes qui auront été créées pour rendre compte des occurrences des étymologies, hiéronymiennes ou non, dans l’espace et dans le temps.
L’originalité et l’ambition du projet reposent sur la synergie entre les deux projets Jerihna et BiblIndex. Cette collaboration vise un double bénéfice : s’adosser aux infrastructures de BiblIndex fera gagner un temps précieux à Jerihna et enrichira considérablement l’analyse systématique des sources, parallèles et reprises du traité de Jérôme, puisqu’à terme seront reliées à chaque étymologie toutes les occurrences des versets bibliques qui contiennent les noms hébreux concernés dans la littérature patristique ; mais inversement, BiblIndex s’enrichira des solutions techniques mises en œuvre pour stocker le texte encodé en TEI des Noms Hébreux et le relier à ses référentiels, ce qui constitue un jalon essentiel pour la réalisation d’un objectif fondamental de BiblIndex : donner accès, à tous, chercheurs ou non, au texte même des citations bibliques dans leur contexte patristique.